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Contexte

Un article sur mon experience comme journaliste au GIMUN 2008; publié dans Courants.

photo par Christopher Streuli

La diplomatie – un domaine bientôt féminin ?

J’ai été pas mal étonné quand on s'est retrouvés tous seuls, Serge et moi, autour de la table de la rédaction avec dix journalistes féminines. C'était le 29 mars, premier jour du GIMUN.

Le GIMUN (Geneva International Model United Nations), est une simulation des Nations unies, un MUN comme on dit en anglais, qui rassemble chaque année deux cents étudiants du monde entier au Palais des Nations. Chacun d’eux représente un pays dans un des organes onusiens simulés, tels que le Conseil de sécurité, le Conseil des droits de l'homme ou l'Organisation mondiale de la santé. Mais pourquoi ces jeunes font-ils le voyage depuis leur pays d'origine ou d'étude, pourquoi sacrifient-ils leur temps précieux pour cette conférence et pour se préparer aux thèmes traités dans la simulation ?

C'est d'abord parce que les participants partagent un intérêt profond pour le système international. Une visite de la « Genève internationale » leur offre un premier aperçu de la carrière à laquelle ils aspirent. Grâce à son statut d'ONG officiellement reconnue par l'ONU, le GIMUN a le privilège d'utiliser les infrastructures onusiennes, y compris des salles du Palais des Nations. Mais les participants viennent certainement aussi parce qu'ils apprécient l'atmosphère internationale de la conférence et l'échange avec des ressortissants de 55 différents pays, tels que le Bénin, le Canada, le Guatemala, le Kirghizistan, les Philippines, l'Inde ou le Pakistan.

J'ai participé cette année comme journaliste pour le GIMUNews, le quotidien de la conférence. Ma tâche était de rédiger un article par jour sur ce qui se passait pendant les débats de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le comité qui m'était assigné.

Si, en tant que simulation des Nations Unies, le but principal du GIMUN est de copier le fonctionnement de l'ONU, cette conférence permet également de faire des expériences. « Tout MUN, comme le dit David Chikvaidze, Chef de Cabinet du Directeur général de l'ONU à Genève, peut servir de laboratoire et devrait être considéré comme tel ». En 2006, par exemple, le Conseil de sécurité du GIMUN s'est engagé à élaborer une réforme du maintien de la paix et en 2007, de son système de sanctions. Les MUNs permettent donc d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’ONU dans une trentaine d'années, quand quelques uns des participants auront peut-être réalisé leur rêve de devenir diplomate.

Cependant, il faut dire que, même si le GIMUN donnait une bonne prédiction du futur de l'ONU, il n'y aura pas de révolution aux Nations unies : les processus de décision restent longs et les résolutions qui en résultent, vagues. Le système international, notamment l'insistance des Etats sur leur souveraineté absolue, empêche les organes onusiens de prendre des décisions pragmatiques. L'ONU (exception faite du Conseil de sécurité) n'a pas le droit d'imposer ses décisions aux Etats membres. Il était donc incontournable pendant le GIMUN de trouver un accord entre les pays, ce qui s'est avéré difficile puisque chaque participant était bel et bien conscient que sa mission était de représenter les intérêts de son pays.

Une petite révolution est par contre prédite par le GIMUN dans la répartition des sièges entre les deux sexes. Alors qu'en réalité, la diplomatie est toujours dominée par les hommes, il y avait plus de déléguées que de délégués au GIMUN. Les quotas qui furent appliqués par les recruteurs de façon informelle ont même joué en faveur des hommes, ceci notamment dans les conseils qui s'occupaient de thèmes traditionnellement considérés féminins, comme la santé ou le social : les différences étaient les plus grandes dans le Conseil économique et social, le Conseil des droits de l'homme et à l'OMS.

A l'OMS pourtant, en observant les débats (et en tant que journaliste, c'est ce que j'ai fait pendant toute la semaine), je sentais que les hommes dominaient quand même les débats. Ceci est devenu évident à la fin de la semaine, quand les présidentes de mon conseil, deux femmes d'ailleurs, ont annoncé leur choix des meilleurs délégués du conseil : un étudiant néerlandais qui avait représenté la Chine ainsi que deux autres hommes, le délégué de la Russie, un norvégien, et celui du Brésil, un étudiant de l'Université de Genève, furent nommés les trois premiers. Ils avaient brillé pendant les débats avec des discours fréquents et fort rhétoriques.

Les femmes, quant à elles, étaient plutôt actives en coulisse. Elles discutaient pendant les débats informels, appelés «caucus », négociaient, trouvaient des alliés et formulaient des projets de résolutions. Dans l'OMS pour le moins, les hommes et les femmes avaient donc des forces et faiblesses différentes : tandis que les hommes étaient plus actifs dans les débats formels, les femmes étaient plus, ou au moins aussi actives dans les négociations informelles.

Ces observations ne sont pourtant pas généralisables : avec un meilleur délégué masculin, mon conseil s'est révélé la grande exception, tous les autres conseils ayant nommé une ou plusieurs femmes. Comme il y avait des différences dans les critères de sélection, on pourrait penser que les autres conseils avaient davantage tenu compte du comportement dans les négociations informelles. Or, il y avait au GIMUN des femmes qui étaient très éloquentes et il est fort probable que c'est grâce à cette capacité qu'elles furent choisies comme meilleures déléguées. A l'OMS également, il y avait des exceptions : la déléguée de l'Inde, une pakistanaise (ça peut sembler particulier pour ceux qui connaissent les relations entre ces deux pays), présentait des excellents discours et la représentante de Médecins sans frontière, une soudanaise, brillait par sa répartie grâce à une connaissance très approfondie de la matière.

Le GIMUN prédit donc qu’à l’avenir, parmi les délégués, la balance penchera en faveur des femmes. Ce fait sera notamment une conséquence de l’excédent de l’offre. La majorité féminine, que ce soit au GIMUN ou dans des filières d'études comme les relations internationales montrent que les femmes montrent plus d’intérêt aux activités internationales que les hommes. Le changement d’attitude des agents impliqués contribue aussi à cette évolution. Bien que la génération actuelle ne soit plus aussi rebelle et défenseuse du féminisme que la précédente, elle considère tout à fait normal que, au moins en théorie, les femmes soient traitées sur un pied d'égalité avec les hommes dans le domaine professionnel.

Paradoxalement, c'est pour cette même raison qu'il y a un danger que les inégalités structurelles soit sous-estimées: comme il est possible pour une femme de devenir diplomate, on assume qu'il est pareillement difficile pour un homme et une femme d’atteindre un tel poste. Je prétends pourtant qu'il est plus difficile pour une femme parce que les Etats choisissent leurs délégués en vertu de critères qui favorisent les hommes. Pour avoir du succès, c'est-à-dire pour mieux défendre les intérêts de l'Etat représenté, un délégué ou une déléguée doit, entre autre, avoir une apparition dominante, une autorité naturelle et une certaine combativité. Pour plusieurs raisons, les femmes sont moins associées à ces traits. C’est d'abord surtout une question d'éducation, mais c'est certainement aussi dû à des différences génétiques, des vestiges de la survie des plus aptes qui a toujours fait subir davantage de concurrence aux mâles. Il est donc difficile de dire qui est coupable pour ce avantage en faveur des hommes, si c'est la faute des femmes, des hommes, des Etats, du système internationale ou même de la nature.

Ce qu'on peut dire, c'est que même si la répartition entre hommes et femmes aux Nations unies change, la répartition entre les deux natures, d'un côté la volonté de coopération et de l'autre côté la défense des intérêts étatiques demeure probablement inchangée en faveur de cette dernière.

Reste alors la question des journalistes : dix femmes pour deux hommes, ce qui donne à croire qu'il s'agit là d'une profession féminine. Les statistiques, elles, disent le contraire, la plupart des journalistes sont des hommes, surtout dans les postes plus élevés. Mais comme dans la diplomatie, il y a également dans le journalisme une tendance à la féminisation : la relève pour cette profession encore très masculine jusqu‘aux années 1970 et 80 est aujourd'hui principalement féminine, comme c’était le cas au GIMUN.


Ivo Näpflin, décembre 2008